Leur donner une chance, leur donner leur chance.
Celle de redémarrer dans un autre pays, celle de pouvoir faire leurs preuves, mais aussi celle de transmettre leurs cultures, d’affirmer leurs origines, de s’insérer sans s’effacer.
Depuis 2016, l’association Refugee Food a permis à plus de 600 personnes réfugiées de trouver leur place en France, en cuisine. Comme un accélérateur d’insertion professionnelle, le projet par la même occasion cherche à faire évoluer le regard sur la situation des réfugiés et la richesse du patrimoine qu’ils ont à nous transmettre.
Initialement Refugee Food agit sous la forme d’un festival durant lequel des chef.fe.s réfugié.e.s cuisinent en résidence au sein de restaurants dans plus de 10 villes de France. De la cantine de quartier jusqu’au restaurant étoilé, chacun.e joue le jeu d’intégrer ce chef.fe dans sa cuisine le temps du festival et d’enrichir son menu des spécialités du participant.e.
Puis les choses s’accélèrent pour l’association : ouverture d’un restaurant d’insertion “La Résidence”, création de programmes de formation, mise en place pendant le premier confinement d’un programme d’aide alimentaire… Refugee Food ne cesse d’aller plus loin pour démontrer que la cuisine est un important moteur d’intégration dans notre société, et d’œuvrer pour un accès à une alimentation juste et durable pour tou.te.s.
SPOK
Pour l’automne 2022, quatre chef.fe.s réfugiés aux horizons et parcours très différents ont transmis l’une de leurs recettes pour Spok. Elles racontent chacune leur histoire et nous invitent à découvrir une autre approche de la cuisine.
On savoure chacun de ces plats différemment, en pensant au parcours que le ou la chef.fe a suivi, en découvrant des goûts, des associations, des noms, qui ne nous sont pas forcément familiers.
Tina est éthiopienne, Harouna est mauritanien, Sadia est afghane, Mokhigoul est tadjik.
Tout un programme.
TINA
Depuis toujours, Tina Demeke Eneyew aide sa mère en cuisine, à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie. Arrivée à Marseille en 2009 pour fuir son pays, elle commence à travailler dans la restauration mais réalise très vite que la cuisine éthiopienne n’y est absolument pas représentée. Une personne de son équipe lui parle de Refugee Food, elle les contacte et participe au prochain festival, puis au suivant et encore au suivant. Succès fou pour cette cuisine méconnue, aux odeurs envoûtantes et saveurs réconfortantes.
Tina décide de passer son CAP avec pour objectif d’ouvrir son restaurant, elle commence avec un espace au marché des Docks et depuis un mois, elle a établi sa propre table “Fidèle”, rue Curiol, dans le 1er arrondissement de Marseille. Une cuisine traditionnelle et sincère, celle qu’elle a savouré toute son enfance, celle qu’elle ne retrouve pas ici, celle qu’elle souhaite transmettre. Sa famille lui envoie régulièrement des “trésors” d’ingrédients qu’on ne trouve pas à Marseille, ou “qui n’ont pas le même goût ici”.
Pour Spok, Tina voulait faire découvrir un plat éthiopien du quotidien : l’injera. Une galette habituellement réalisée à base de farine de teff, mais pour l’occasion revisitée avec du blé noir (sarrasin), et accompagnée d’un dhal de lentilles “meser wet”, d’épinards “gomen wet” et d’une sauce à base de boeuf haché pimenté.
HAROUNA
Originaire de Mauritanie, avant d’arriver en France Harouna Sow n’avait jamais mis les pieds dans une cuisine. Devenir chef n’était pas une vocation, mais un hasard, né du simple besoin de travailler. Très vite, il s’accomplit dans cet environnement stimulant qu’il découvre, et sa rencontre avec Refugee Food en 2018 lui permettra d’aller encore bien plus loin. Après avoir participé au festival, il s’engage pendant le confinement pour participer au programme d’aide alimentaire, puis il rejoint le restaurant d’insertion, et devient chef formateur de l’ensemble des restaurants Refugee Food. Harouna souhaite partager son parcours avec ceux et celles qui vivent une histoire similaire, il veut leur montrer que cette voie est possible.
Pour Spok, Harouna a choisi une recette qui cartonne au restaurant, son plat phare, le mafé végétarien. Un plat du quotidien qui retranscrit toute sa philosophie : celle d’une cuisine qui parle au plus grand nombre et qui rassemble, mais aussi une cuisine responsable et centrée autour du végétal.
SADIA
On ne sort pas indemne d’une conversation avec Sadia. Juste après avoir perdu ses deux parents, elle décide de quitter à 14 ans l’Afghanistan et arrive seule en France. Elle grandit en “zappant” son pays, avec une détermination sans faille de se reconstruire ici.
C’est lors de sa première grossesse qu’elle est prise d’une envie de retrouver les saveurs de là-bas. Elle a baigné toute son enfance dans la cuisine des femmes de sa famille, et replonge dans tous ses souvenirs en prenant soin de noter chaque recette sur un blog.
Sa seconde grossesse marque une prise de conscience, une envie encore plus forte de se consacrer à la transmission de cette culture par la cuisine. Après 20 ans en tant qu’aide-soignante en psychiatrie, Sadia créé son auto-entreprise “Kaboulyon” et déploie son énergie débordante pour donner une autre image de son pays. Elle participe entre autres au festival de Refugee Food à Lyon, dispense des cours à la Fondation Paul-Bocuse, participe à des projets de livres, rencontre et échange avec des chef.fe.s de renom.
Son rêve ? Créer un éco-village, une cuisine participative, un potager en permaculture…
Pour Spok, Sadia a choisi sans hésitation sa recette iconique et infaillible: le ferni, comme une crème dessert sublimée par la cardamome. Sadia l’infuse au thé noir et y ajoute de la praline rose, emblématique de Lyon, sa ville d’adoption.
MOKHIGOUL
Au Tadjikistan, Mokhigoul cuisinait déjà tout le temps. Elle a appris enfant auprès de sa mère, et a ensuite longtemps travaillé dans le milieu de l’agriculture dans son pays. Arrivée en France à Bordeaux il y a 6 ans avec ses 4 enfants, elle commence par apprendre le français et travailler dans la cantine d’une école. Mokhigoul se lance alors dans une formation à la restauration collective et prend contact avec le Refugee Food. Elle participe au festival pour la première fois en juin, l’opportunité de présenter sa propre cuisine, celle qu’elle connaît par coeur et qu’elle ne retrouve pas ici.
Pour Spok, Mokhigoul a imaginé une entrée centrée autour des produits de saison, comme un samoussa, rempli d’une farce à la citrouille, au boeuf et à la féta. Une recette réconfortante que Mokhigoul prépare si souvent en variant la garniture au fil des envies.
Dans chaque Spok, un chef cuisine chaque matin des produits bruts et de saison, pour proposer des plats qui changent chaque jour, mais aussi des salades, des sandwichs, des soupes, des ramen, des desserts et des gourmandises.
Pas de laboratoire central chez Spok, mais de belles cuisines ouvertes.